Toespraak minister Koenders tijdens Franse ambassadeursconferentie
Toespraak van minister Koenders van Buitenlandse Zaken tijdens de Franse ambassadeursconferentie in Parijs (1 september 2016). De toespraak is alleen in het Frans beschikbaar.
Mesdames, Messieurs, Chers Ministres, Chers Ambassadeurs,
Me trouver aujourd’hui ici au centre de conférences ministériel a perdu l’attrait de la nouveauté mais gagné celui d’une tradition. Vous me voyez particulièrement heureux de m’adresser à la fine fleur de la diplomatie française. Je vois dans la salle de nombreux ambassadeurs avec qui j’ai eu le privilège de collaborer étroitement. A La Haye, mais aussi à Abidjan et à Bamako.
Il est un propos du général Charles de Gaulle qui me revient en mémoire: 'Les diplomates ne sont utiles que par beau temps. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte'. J’ignore à qui il faisait référence en particulier, mais il ne pouvait pas s’agir des diplomates français. Dans ma carrière j’ai en effet pu voir de très près la qualité exceptionnelle de la diplomatie française.
La France est sur le devant de la scène internationale :
La France joue un rôle primordiale : dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, dans le cadre du processus Normandie.
La France prend des initiatives dans le processus de paix au Moyen-Orient.
La France prend sa pleine responsabilité en Afrique, notamment au Mali et en République centrafricaine, ou l’action Française a pu prévenir une catastrophe humanitaire.
La France a défini les parties les plus épineuses de l’accord nucléaire avec l’Iran.
La France était le chef d’orchestre des négociations de la COP 21.
Et naturellement au sein de l’Union européenne la France assume sa pleine responsabilité de pays fondateur.
C’est seulement aux jeux olympiques que j’étais un peu déçu. Seulement 10 médailles d’Or pour les bleus; tandis que les Pays-Bas en ont gagné 8 (avec une population qui est 4 fois plus petite que celle de la France). Mais bon. Ce n’est pas pour rien que De Gaulle disait des Pays-Bas: 'Petit pays, mais grande nation'.
Après avoir longtemps navigué en eaux calmes, l’Europe affronte de fortes tempêtes qui ne semblent pas se calmer dans un futur proche. Les terribles attentats qui ont frappé votre pays à plusieurs reprises, la crise migratoire et des réfugiés, les tensions persistantes à nos frontières extérieures, le Brexit : les vagues ne perdent pas en intensité et les vents ne tombent pas.
Les défis intérieurs et extérieurs concernant la stabilité socioéconomique, la prospérité et la sécurité sont plus que jamais liés.
Je souhaiterais aborder avec vous ces défis, car ils exigent beaucoup de notre engagement commun – de la coopération entre la France et les Pays-Bas, comme de notre implication dans l’Union européenne.
L’Europe a un choix : ou bien elle se débarasse de l’analphabétisme dans la politique étrangère et exporte la stabilité, ou bien elle cueillera les fruits amers et importera l’instabilité. Cela mènera à une montée de l’instabilité et de la désintégration en Europe.
La géopolitique est de retour avec force, la relation transatlantique change de caractère et c’est justement l’Europe qui est entourée par un cercle d’instabilité.
Les dossiers sécuritaires se trouvent de nouveau au centre de la diplomatie.
Voici la nature des menaces à présent hybride et l’attribution de ces menaces incertaine, car bien souvent il n’y a plus de flagrant délit mais une propagande diffuse à travers twitter et Facebook, des attaques cybers, des activités paramilitaires sous le drapeau de l’aide humanitaire. Notre défense doit donc être 'tous azimuts', pour utiliser encore une belle expression de De Gaulle.
A l’est l’Europe doit gérer une Russie qui est de plus en plus autocratique. Et une Russie qui est plus imprévisible qu’à l’époque de la guerre froide. D’un côté, la Russie avec sa population vieillissante et son économie peu diversifiée ; mais de l’autre côté, la Russie qui reste un acteur essentiel pour trouver des solutions durables en Ukraine et en Syrie. Sur ces théâtres militaires, la Russie est un partenaire incontournable mais aussi inconfortable. La Russie tient en main les clés pour arrêter la barbarie à Alep. Et si Moscou le voulait vraiment, l’accord de Minsk pourrait être vraiment mis en œuvre.
Au sud, l’Europe se voit confrontée à des états-nations fragiles ou défaillants. Liban, Egypte, Tunisie, Libye : des états où les structures institutionnelles sont faibles, où le chômage des jeunes est très élevé, où l’exode rurale a créé une population urbaine dont une partie est sensible aux cris de la Sirène du radicalisme. Il est important que nous montions ensemble en Europe la pression au sein du GISS sur nos co-présidents pour prévenir le drame humanitaire qui se déroule en Syrie et pour renforcer nos intérêts sécuritaires au plan de la migration.
Et nous avons Da’esh. Une pieuvre venimeuse, avec son corps en Syrie et en Iraq, mais avec ses tentacules partout : en Libye, au Nigeria, à Paris, à Nice, à Bruxelles, à Istanbul. Il s’agit d’une pieuvre qui change rapidement de tactique et de forme.
Nous avons remporté quelques succès militaires les mois derniers dans la lutte contre Da’esh: les villes de Falluja, de Ramadi, de Manbij, de Jarablus ont été libérées. Mais, [citant Churchill après la bataille de El Alamein en 1942] : 'ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement'. Il faut s’apprêter à de féroces combats urbains pour libérer Mosul et Raqqa. Et des efforts massifs devront être entrepris pour stabiliser les zones libérées et pour soulager les besoins humanitaires. Mais si nous libérons Raqqa et Mosul, que faire des 25.000 combattants djihadistes (hommes et femmes) qui seront déversés dans la région? Il faudra s’assurer que les coupables seront traduits en justice; Mais il faudra s’assurer également que des efforts de réconciliation seront entrepris pour accompagner les petits opportunistes dans les rangs de Da’esh. Les agendas humanitaire et militaire devront agir de concert.
Et nous avons bien sur la guerre civile en Syrie. Peut-être la guerre civile la plus compliquée depuis la guerre de trente ans (1618-1648) celle-là même qui avait ravagé l’Allemagne.
Le conflit Syrien est une guerre par procuration, ou les puissances régionales s’affrontent. C’est le théâtre du conflit entre shiites et sunnites. La guerre en Syrie, c’est aussi une guerre pour l’autonomie des Kurdes, comme nous avons pu le voir les derniers jours, où les tensions entre les États-Unis et la Turquie ont monté après le coup d’état manqué.
Avec ses spaghettis d’alliances contradictoires, c’est aussi un conflit qui semble insoluble. Les méthodes de combats sont affreuses; armes chimiques et bombes à baril nous renvoient dans une période plus noire de notre propre histoire.
La priorité dans les prochains mois doit rester : 1. Soutien au processus de De Mistura. 2. Aide humanitaire. 3. Pression sur la Russie.
Il est évident que les problèmes dont nous parlons ne peuvent, vue leur ampleur, être résolus en six mois. Mais l’enjeu était de lancer des solutions durables et de permettre ainsi à l’Union européenne de maintenir le cap. Il fallait donc se concentrer sur l’essentiel, et c’est toujours le cas. Les circonstances ne laissent pas de place à l’accessoire.
Les questions les plus urgentes sont celles de la sécurité internationale et de la migration. La problématique posée par ces flux de populations ne peut être résolue individuellement par les États, mais les citoyens attendent cependant une action énergique de la part de leur gouvernement. La sécurité et la migration sont donc des domaines où l’Union européenne peut compter sur le soutien grandissant des citoyens – sous réserve de résultats tangibles. Ce soutien concerne aussi la lutte contre les causes profondes des flux migratoires : l’insécurité et le contexte incertain que connaissent les pays qui nous entourent.
L’accord entre l’Union européenne et la Turquie a marqué sans conteste un tournant essentiel. Nous constatons une nette diminution des entrées en provenance de la Turquie. Nous n’avons presque plus de noyés à déplorer sur cette route et nous avons en même temps pu éviter ensemble le délitement de Schengen et des quatre libertés.
Il s’agit maintenant d’appliquer les mesures convenues. La solidarité européenne ne s’exerce pas à la carte, et nous ne sommes pas toujouts très forts quand il s’agit de mettre en œuvre les décisions prises dans le Conseil.
Je retourne justement de Turquie et il est clair que de nouvelles initiatives sont nécessaires dans le Conseil d’Europe et au sein de l’Union Européenne pour adresser la situation des droits de l’homme en Turquie, mais aussi pour mener à bon terme la question des visas et de migration.
Depuis le sommet de La Valette, nous avons renforcé la coopération avec divers pays d’origine et de transit des réfugiés et migrants. Nous définissons au sein de l’Union européenne un engagement commun, à la réalisation duquel chacun participe. Non pour la beauté du principe, mais par nécessité.
Moins visibles mais tout aussi importants sont les jalons posés au cours du dernier semestre concernant la révision du système d’asile européen commun, tels que l’accord politique auquel nous sommes parvenus sur la proposition d’une agence européenne de garde-frontières et garde-côtes.
La lutte contre le terrorisme est un autre domaine dans lequel la coopération est indispensable. Les lâches attentats commis ici, à Paris, à Nice, à Bruxelles et dans tant d’autres endroits en Europe et dans nos pays partenaires montrent que sécurité intérieure et sécurité extérieure sont indissociables. C’est simple : soit l’Union européenne exporte la stabilité, soit elle importe l’instabilité. C’est le seul choix au menu du jour.
C’est pourquoi diverses mesures ont été prises durant la présidence néerlandaise, en vue d’améliorer le partage d’informations en matière de lutte contre le terrorisme, de maintien de l’ordre public et de gestion des frontières. Ensemble, nous avons élaboré la directive sur l’échange des données des dossiers passagers et renforcé la directive sur les armes à feu. Cet été, il est malheureusement apparu que beaucoup reste à faire, mais je suis persuadé que nos efforts en la matière ne resteront pas vains sous la présidence qualifiée de la Slovaquie.
Le Brexit signifie malheureusement la perte d’un important partenaire en matière de sécurité. Le Royaume-Uni est en effet le seul pays, avec la France, en mesure de mener des actions militaires autonomes. La perte de la capacité expéditionnaire britannique, en particulier la flotte, est un revers douloureux pour l’Union européenne. Le Royaume-Uni est toujours un acteur mondial de poids en termes politiques, militaires et économiques.
Ce qui importe, à mes yeux, c’est que les Britanniques quittent l’Union européenne mais ne quittent pas l’Europe. Il est dans notre intérêt que Londres reste impliquée dans la politique de sécurité et de défense commune et dans les missions militaires de l’Union européenne et la coopération internationale. Aussi devrons-nous élaborer un mécanisme de coopération, comme il en existe déjà avec d’autres partenaires non membres de l’Union européenne. Mais le Royaume-Uni reste aussi un partenaire au sein de l’OTAN. C’est finalement d’une nouvelle Entente cordiale dont nous avons besoin.
Le contexte plus large en matière de sécurité n’est nullement affecté par le Brexit. La nécessité pour l’Union européenne de concrétiser ses conceptions à ce sujet conserve donc toute son urgence. Les fondements ont heureusement déjà été posés grâce à la publication par la Haute représentante de la Stratégie globale. Le résultat du référendum britannique n’entame aucunement la pertinence de ce document. Ce n’est pas le moment de faire cavalier seul ni d’imaginer toutes sortes de nouvelles initiatives. Il est temps de nous atteler sérieusement aux engagements que nous avons pris et de continuer à avancer sur les bases que nous venons de poser. La France joue un grand role dans ce débat.
J’aimerais à ce propos m’arrêter un instant sur le Sahel. Une région en proie à une multitude de problèmes transfrontaliers tels que le terrorisme, la criminalité et l’immigration clandestine. Mais le Sahel n’est pas si loin de l’Europe. L’Europe doit prendre ses responsabilités. Le Mali occupe une position clé au Sahel et je suis fier que les Pays-Bas agissent de concert avec la France pour s’attaquer aux problèmes de ce pays et de la région dans son ensemble : la France notamment par l’intermédiaire de la mission régionale Barkhane, et les Pays-Bas par leur contribution à la MINUSMA. Des missions comme celles-ci touchent directement les intérêts européens ; la mise à disposition des moyens devrait donc aussi se faire dans le cadre européen, par exemple à l’aide d’un schéma de rotation pour les hélicoptères.
Il s’agit maintenant de mettre en œuvre la Stratégie globale, en s’attachant en premier lieu à améliorer notre coopération en matière de défense. C’est pourquoi j’espère que nous entamerons rapidement la rédaction d’un Livre blanc européen de la défense, dans lequel nous établirons clairement nos priorités.
Toutefois les référendums français et néerlandais de 2005 ainsi que, plus récemment, la progression des partis populistes, montrent que les citoyens sont opposés à un fédéralisme sans retenue. Je suis donc réservé par rapport aux propositions relatives à la création de quartiers généraux européens ou de ce qui ressemblerait à l’amorce d’une 'armée européenne'. Quelle serait la valeur ajoutée d’un QG européen ? Un QG serait surtout une doublure très chère des structures existantes de l’OTAN.
Je suis convaincu que le niveau intergouvernemental, à condition d’être fortement investi en termes de financement et de politique, reste le mieux adapté pour les décisions en matière de défense. L’appropriation par les États membres, tel est le maître-mot. Je ne suis pas contre l’intensification de la coopération en matière de défense au sein de l’Union européenne. Au contraire : dans le domaine de la recherche et des programmes d’armement européen, je suis ambitieux.
Je pense aussi qu’il faut augmenter la proportion de ‘coûts communs‘ dans le financement des opérations militaires européennes. Les Britanniques s’y opposaient toujours; nous voici à présent libres d’avancer en la matière !
Un autre dossier prioritaire, c’est le domaine cyber. Là encore une réponse Européenne aux menaces est souhaitable.
Le programme européen en matière de sécurité ne peut être envisagé qu’en rapport avec l’OTAN, d’autant que le Brexit renforce encore l’importance de la relation avec l’Alliance atlantique. Il s’agit de mettre en œuvre au plus vite la déclaration conjointe UE-OTAN adoptée à Varsovie. Les résultats doivent être tangibles d’ici la fin de l’année. Je pense principalement à l’amélioration du partage du renseignement et à l’élargissement de la coopération maritime à la Méditerranée centrale. Mais je songe aussi à une meilleure coordination des efforts de l’Union européenne et de l’OTAN tant à l’est qu’au sud.
C’est aussi ce que les citoyens attendent de nous. Devant le constat que nous disposions de toutes les pièces du puzzle du renseignement pour prévenir un attentat, comment expliquer après coup notre incapacité à parvenir ensemble à les réunir dans le bon ordre ?
Mesdames et Messieurs, considérer l’Europe comme un orchestre peut nourrir notre réflexion. Bien sûr, quelques instruments donnent le ton, mais la beauté de la musique ne se révèle vraiment que lorsque tous les instruments sont en harmonie – lorsque tous les États membres coopèrent.
L’Union Européenne doit jouer un role plus fort sur le plan de la politique étrangère. Elle doit oser être plus 'politique'. Et les déclarations c’est bien, mais doivent être accompagnées avec un véritable engagement sur le terrain des 3D : Défense, Diplomatie et Développemnt. Cela peut et doit se traduire dans une mise en œuvre sérieuse des Pactes de Migration.
Ensemble, nous œuvrons à une Europe de paix et de sécurité. Pour réaliser cet objectif, nous pouvons nous inspirer des mots du grand homme d’État que fut Georges Clemenceau : 'Le plus beau sentiment se doit transporter dans l’action, traduire en gestes quotidiens, réaliser en mouvements au grand jour '.